-10°C
La Côte-Nord, terre d'adoption des Français
Crédit : Sébastien St-Jean

À peine aurez-vous passé la rivière Saguenay, à peine aurez-vous posé pied sur nos terres, et vous l'entendrez. Au café, au resto, à l'hôtel… vous ne pourrez le rater. En excursion aux baleines ou au Festival des oiseaux migrateurs, il saura vous charmer. Ni grave, ni aigu, c'est bien plus qu'un son. Sans être circonflexe, mais assurément complexe, c'est une identité. La France dans toute sa sonorité, mais pourtant… cet accent d'outre-Atlantique est bien implanté chez nous. À peine aurez-vous posé pied sur nos terres, et vous l'entendrez. Certains viennent chez nous le temps d'une saison, d'autres y prennent racine pour de bon. Mais pourquoi tant de nos cousins français font-ils de la Côte-Nord leur terre d'adoption?

« Je suis venue au Québec parce que je voulais quitter la France et que je ne parlais pas d'autres langues que le français », avoue candidement Fleur-Eva Jezo. Sur les rochers du Centre d'interprétation et d'observation de Cap-de-Bon-Désir, plusieurs dizaines de curieux scrutent le fleuve à la recherche de baleines. D'autres, jumelles en main, sont plutôt aux oiseaux. L'histoire de Fleur-Eva Jezo en est une de coup de foudre. « La Côte-Nord, c'est magique! Les paysages… je suis amoureuse de cette région-là. Si je pouvais m'acheter une maison ici, je le ferais. »

Vrai que notre région lui rappelle un peu sa Bretagne natale, mais en l'espace de quelques secondes, la guide-naturaliste chez Explos-Nature vient d'identifier deux incontournables. Il y a d'abord cette langue belle, « la langue de chez nous » d'Yves Duteil, qui chante évidemment les louanges de tout aventurier issu de l'Hexagone. Puis les grands espaces, l'incarnation parfaite de ce mythique Nouveau Monde.

« Si tu aimes la nature, c'est le cadre dans lequel tu travailles, c'est somptueux », s'émerveille Margot Morilhat, elle aussi Française, elle aussi Nord-Côtière dans l'âme. Le soleil est radieux. Sous un ciel bleu infini, les rochers du Cap-de-Bon-Désir plongent dans la mer. Venue visiter son amie Fleur-Eva, Margot se lance : « Je suis arrivée de l'île de La Réunion. » Oui, vous avez bien lu, « La Réunion » comme dans paradis de l'océan Indien. « Des gens de l'administration québécoise sont venus dans nos lycées, l'équivalent de la fin du secondaire au Québec, reprend-elle. Ils sont venus nous demander si on voulait s'établir dans des régions moins peuplées du Québec. »

C'est ainsi que la Réunionnaise a quitté son île ensoleillée pour joindre le Québec enneigé la moitié de l'année. Son programme technique au Lac-Saint-Jean l'a conduite chez Explos-Nature, où elle est devenue plongeuse-naturaliste. « C'était formidable, résume-t-elle bien simplement. Les gens ne savent pas tout ce qu'on peut voir ici sous l'eau. […] C'est un des plus beaux endroits dans le monde pour plonger en eau froide, c'est magnifique. » Margot Morilhat fait donc partie de ceux qui ont pris racine au Québec. En attente de sa citoyenneté, elle s'est tracé un chemin comme plongeuse professionnelle, ailleurs en province. Mais son ode à la Côte-Nord célèbre toujours son amour pour notre coin de pays.

Fleur-Eva Jezo au travail comme guide-naturaliste au Centre d'interprétation et d'observation de Cap-de-Bon-Désir

Margot Morilhat lors de l'été 2022 aux Escoumins 

Des ailes et des racines

En passant devant le drapeau tricolore, David Bédard sourit. L'hébergement estival des employés de Mer et monde Écotours ne laisse aucun doute : des Français s'activent dans les parages. « Ce qu'on entend souvent, c'est qu'ils cherchent l'accès à la nature, un rythme différent, confirme le directeur des opérations. C'est définitivement bénéfique pour nous en tant qu'employeur. C'est très, très avantageux parce que souvent, ces employés-là ont d'autres expériences et ils apportent quelque chose à l'entreprise. » Un exemple?

« J'étais tannée de la ville, j'habite maintenant ici toute l'année », admet Julie Fesquet, capitaine-naturaliste chez DuFleuve. Originaire de La Ciotat, près de Marseille, elle sillonne maintenant le Saint-Laurent, ouvrant la voie aux touristes en faisant entendre la sienne. Julie est au Québec depuis 13 ans, 2025 sera sa cinquième saison estivale dans la région. « Je pense que plusieurs, comme moi, viennent faire un tour pendant l'été, tombent sous le charme de la région, de la communauté aussi, reconnaît-elle. C'est beaucoup ce qui m'a fait rester : j'ai trouvé une belle communauté ici. »

« Tu rencontres tout le monde. En tant que personne de l'extérieur, tu t'intègres beaucoup plus facilement en région qu'à Montréal sur le Plateau », illustre Margot Morilhat, sourire en coin et dans une sonorité que sa famille doit trouver de plus en plus québécoise. « C'est plus l'fun [CFQD], tu appartiens plus à un endroit et je pense que c'est pour ça aussi que les gens restent plus longtemps. » Chez Explos-Nature par exemple, les employés saisonniers sont tous hébergés au même endroit. Un moyen de créer des liens forts et de stimuler la vie communautaire.

« Beaucoup viennent sur la Côte-Nord chercher une vie un peu différente, ajoute Julie Fesquet. Des gens qui ont envie de se laisser le choix de choisir leur vie. De vivre plus au rythme des saisons. C'est quelque chose qu'on découvre et dont on a du mal à se passer après. » Ici, Julie a pu poser le pied sur le frein alors qu'ailleurs, tout s'accélère.

En 2025, Julie Fesquet amorcera sa 3e saison comme capitaine-naturaliste, sa 2e chez DuFleuve.

David Bédard en face de l'hébergement d'employés français chez Mer et Monde 

Par la porte PVT

La formule PVT est la porte d'entrée de bon nombre de Français qui atterrissent chez nous. Le PVT, pour Programme Vacances-Travail ou Permis Vacances-Travail, fait partie du programme fédéral Expérience internationale Canada. Il permet à des jeunes provenant de pays partenaires (France, Allemagne, Australie, Japon, etc.) de venir visiter et travailler au Canada pour un maximum de deux ans. À l'inverse, des jeunes Canadiens peuvent faire de même dans ces pays partenaires.

C'est d'ailleurs grâce au PVT que Fleur-Eva Jezo a pu renouer avec sa Côte-Nord adorée, elle qui était venue au Québec une première fois en 2013, « sur un coup de tête à 19 ans ». Durant cette année d'études à Sherbrooke, une amie lui avait fait découvrir les merveilles au nord du Saguenay. Le coup de foudre fut immédiat. Un autre séjour en tant que touriste en 2015 ne lui a pas suffi. « Après, je n'ai pas pu venir pendant des années, parce que… la vie, mais, je voulais vraiment revenir », confie-t-elle. La pandémie a aussi retardé ses plans. « Dès que j'ai pu avoir mon permis de travail, mon PVT, je suis revenue direct et j'ai commencé à travailler chez Explos-nature. »

« Quand on réussit à les avoir au tout début de leur voyage, ça permet souvent de les ravoir une deuxième saison », explique David Bédard au sujet des Français en PVT, une main-d'œuvre fort appréciée par plusieurs entreprises de la région. « Après ça, certains vont avoir une stratégie de demande de résidence permanente pour pouvoir venir s'établir au Québec. » Comme l'a fait Margot Morilhat, mais son amie Fleur-Eva Jezo a eu moins de chance. Elle ne se qualifiait pas pour la résidence permanente. Fleur-Eva est donc rentrée en France à contrecœur, fin 2024… en se promettant de revenir si la vie ne la comble pas de l'autre côté de l'Atlantique. Où son accent se fond désormais dans la masse, mais où elle se sentira bien loin de ses baleines adorées du Saint-Laurent.

 

Actualités

Afficher tous